Derniers bords pour Halvard

H.MABIREHalvard Mabire a réalisé hier soir le dernier empannage stratégique pour poser son Campagne2France sur le bon bord bâbord amure en route directe vers la Pointe à l’anglais, la pointe nord est de la Guadeloupe. A 57 milles ce matin de ce point éminemment psychologique, première terre depuis des semaines, Halvard pourrait rejoindre la ligne d’arrivée de Pointe à Pitre dans la nuit de vendredi à samedi.

Il devra d’ici là contenir le retour de Jean Edouard Criquioche qui affiche lui aussi des prétentions sur la 16ème place du skipper Normand. L’arrivée aux accents de triomphe hier après midi de sa compagne Miranda Merron a boosté le moral d’Halvard. S’il navigue toujours avec le pied sur la pédale de frein afin de ménager un bateau loué pour cette Route du Rhum, et qu’il souhaite rendre en parfait état à son propriétaire dès l’arrivée, Halvard a pu réaliser un petit décalage dans l’ouest intéressant pour bénéficier ces prochaines d’heures d’un meilleur angle de descente dans l’alizé que son adversaire direct. Reste à espérer que le contournement de la Guadeloupe par l’ouest se montre aussi favorable à Halvard qu’il l’a été pour Miranda. La navigatrice Britannique, qui peine toujours à réaliser son petit exploit, 6ème et première femme de cette route du Rhum catégorie 40 pieds, trépigne d’impatience à l’idée de rejoindre dès la ligne passée son compagnon à bord de Campagne2France.

 

L’humeur d’Halvard
“Étant donné que l’arrivée se profile petit  à petit pour moi, il est temps de parler d’un sujet soigneusement éludé jusqu’alors, histoire de ne pas se faire mal dès le début. Je ne parle pas de la course, car tout le monde ne parle que de ça et je n’ai donc rien à ajouter. Non je veux parler de “la Bouffe”. Vaste sujet, comme dirait une certain Colonel (non, pardon, je voulais dire Général, je devrais m’en souvenir vu qu’il y a plein de gens qui y font référence tout le temps, de préférence à tort et à travers). J’ai bien dit La Bouffe et non Le Manger. Avec le mot “manger” s’associe souvent l’adjectif “bon” et “le bon manger” sous-entend que l’on fait son marché quotidiennement, que l’on y passe un peu de temps pour préparer les divers ingrédients, et surtout que l’on partage le fruit de cette noble tâche avec quelques convives, et néanmoins amis, qui ont en général la bonne idée d’apporter quelques bouteilles, histoire que l’on puisse goûter ensemble si c’est bien du vin. Donc pas question de “bon manger” à bord, étant donné qu’il n’y a pas de marché à proximité, que l’on n’a pas de temps à consacrer aux tâches culinaires (on n’a pas le matos pour non plus, d’ailleurs) et surtout, comme c’est une course en solitaire c’est rapé pour ce qui est du partage des repas.

Donc quand on nous demande “vous mangez quoi alors?”, on répond souvent pour éluder un peu la question : “du liophylisé”. Je ne sais pas si notre interlocuteur est bien plus avancé avec ça. Donc ça vaut le coup de rentrer un peu plus dans le détail du “Liof”. Ces produits existent depuis pas mal d’années déjà, et on en parle tellement à l’occasion de chaque course au Large, que le “Liof” a du faire couler autant d’encre qu’il n’a absorbé d’eau. En effet, le “Liof” c’est du déshydraté. Cela se présente le plus souvent sous la forme de sachet en plastico/alu. Ce sont des repas tout fait, il n’y a qu’à rajouter de l’eau bouillante dans le sachet, bien touiller, refermer le sachet soigneusement (les pinces à linges viennent astucieusement renforcer la fermeture zip en général intégrée dans le sachet), attendre, en général 2 fois plus longtemps que ce qui est indiqué sur le sachet si vous ne voulez  pas que ça continue à se réhydrater dans votre bide, et après on retouille et on mange. Le plus surprenant, c’est que ce n’est pas mauvais du tout… au début en tous cas.

Le problème, c’est que quelque soit les plats, il y a comme un certain goût commun. Avec notre longue expérience du Liof, nous avons trouvé la parade à ce léger inconvénient. Il faut varier les marques autant que les plats. En effet, il y a plein de marques, originaires de plein de pays différents. Et curieusement les marques issues des pays pas forcément au sommet de l’échelle gastronomique s’en sortent plutôt pas mal en goût et qualité. Ainsi, parmi nos marques préférées figurent en tête de liste du Liophylisé anglais et Néo Zélandais. Comme quoi. Mais nous avons aussi du norvégien, de l’allemand, un peu de français (très peu), de l’américain. Ainsi nous arrivons à varier suffisament les goûts pour des très longues étapes. Je n’ai pas parlé du liophylisé italien,  le plus ancien du monde et un des meilleurs, car tout le monde le connait, ça s’appelle les pâtes (la pasta). Mais nous n’en avons pas à bord, car même ça c’est rop compliqué à faire et nous n’avons pas la casserole, l’égoutoir, etc… Nous avons juste un petit “Jet Boil”, qui peut faire bouullir 1/2 litre d’eau en à peine quelques fractions de minutes. Redoutable d’efficacité (on peut même raffiner de l’huile de moteur avec, j’en ai fait l’expérience).

L’avantage du “Liof”, hormis sa préparation aisée, c’est le poids et aussi le conditionnement qui permet d’une part de garder le repas chaud pendant très longtemps, ce qui est pratique si vous avez une manœuvre qui intervient justement au moment où il ne faut pas, mais qui sert aussi de gamelle, car on mange directement dedans (avec un cuiller quand même), donc pas de vaisselle ni à trimballer ni à faire. Le rêve des célibataires en quelque sorte. Mais si vous vous intéressez plus en détail au “Liof”, je vous conseille d’aller directement à la source Liophylise.fr et de contacter Ariane à Lorient, elle connait tout, fait toutes les marques et peut judicieusement vous conseillez. En tous cas le liophylisé est maintenant la base de la nourriture de l’Aventure et de l’Extrême et même, comme il n’y a pas trop de problème de conservation, il parait qu’il y a un certain nombre de cinglés qui croient à la fin du Monde, et qui sont évidemment persuadés qu’ils seront les seuls survivants, qui en stockent pas mal, histoire de faire face pour quand il n’y aura plus de Supermarché, (ce qui marquera effectivement vraiment peut-être non pas la fin du monde mais en tous cas la fin d’un certain monde).
Mais à part le liophylisé, sur Campagne 2 France nous avons tout de même quelques petits extras fortement appréciés.

Tout d’abord, nous avons eu la chance pendant la première semaine de course de nous régaler avec les délicieux produits laitiers des Maîtres Laitiers du Cotentin. Si vous ne connaissez pas, je vous conseille d’essayer. Il y en a par exemple un qui a un nom facile à retenir, c’est le petit Montebourg. Rien à voir avec l’ex ministre qui fait maintenant, parait-il, une superécole de commerce, ce qui prouve bien que ce qui pêche vraiment dans nos universités c’est l’orientation, vu que quand il était ministre à l’Economie, n’importe quel pékin moyen s’est vite aperçu qu’il était meilleur en communication qu’en économie et que c’est donc pour une école de “com” qu’il avait des aptitudes. Passons. Non Montebourg, c’est un charmant petit bourg du Cotentin, d’où le nom du produit laitier en question.
A part ces bons produits laitiers, dont la durée de vie n’est pas éternelle, car leur appétence rivalise aussi avec l’absence de frigo, il y a quelques autres trucs que j’aime bien en bateau. Par exemple le foie de morue. Avec un filet de citron, rien de tel pour bien commencer la journée. Par contre il faut faire gaffe à pas renverser l’huile si vous ne voulez pas transformer le bateau en “hollidays on Ice”. Il y a aussi des trucs qui manquent et que l’on ne peut pas trop prendre, d’une par à cause du poids et d’autre part à cause de la conservation. Le pinard c’est surtout à cause du poids et aussi parce que l’alcool à la barre c’est déconseillé. Le Camembert c’est à cause des deux, du poids et de la conservation.Mais il y a tout de même la possibilité, côté fromage, de se rabattre sur des produits tout à fait honorables et qui en plus ont l’air fait exprès pour nous en bateau, entre autres. Je veux par exemple parler des Minibabybel. C’est vraiment le top en bateau. D’une part, pas de problème de conservation, même si de l’eau tombe dessus le fromage reste bien protégé avec sa couche de cire, et d’autre part, c’est tout de même justement sympa d’avoir encore du fromage après quasiment 3 semaines de course. La cire c’est pas mal aussi. C’est bien connu, ça amuse les enfants qui ont à la fois le plaisir de l’ouvrir ‘tout seul” et ensuite le plaisir de la malaxer et de jouer avec pour faire toutes sortes de figurines diverses ou autres patachonneries. Évidemment il faut être derrière pour pas qu’ils laissent la cire n’importent où et pour pas non plus qu’ils jouent justement sur la belle moquette de la maison de location, mais en tous cas, pendant ce temps là, ils sont sages. Et comme nous nous sommes restés aussi un peu des grands enfants, la cire ça nous amuse pareil. Autre avantage, une petite fuite sur un boulon ou dans le système de ballast et hop, vous alliez le plaisir gustatif avec le bricolage utile. Il n’y a pas d’équivalent. Certains me parleront de la gomme à mâcher (chewing gum en français) qui peut aussi boucher des trous, mais franchement ce n’est pas le même apport nutritionnel ni le même plaisir de goût. Au point où ils en sont sur les listes à rallonge de matos obligatoire pour la soi-disant sécurité, je pense qu’ils pourraient rajouter le Minibabybel, ce ne serait pas plus mal.
Côté pain, curieusement, j’aime bien le “Pumpernickel”. Comme quoi, même d’Allemagne, il peut venir des trucs bons à manger. La légende veut que le nom de ce pain, sorte d’amas brunâtre composé de diverses céréales, provienne  de l’époque de la conquête de l’Allemagne par les troupes napoléoniennes et que lorsqu’un habitant, pas trop rancunier, aurait proposé un morceau de ce pain à Napoléon, le petit Corse aurait répondu dédaigneusement que c’était juste “bon pour Nickel”, Nickel étant le nom de son cheval. Ensuite, avec la déformation prononciative à laquelle nous ont habitué les nombreux films “historiques” qui font parler les Allemands comme dans La Grande Vadrouille, mais curieusement les Américains avec un accent de titis parisiens, le “Bon pour Nickel” serait devenu “Pumpernickel”.
Comme toutes les légendes, je n’ai aucune idée si elle est véridique. Il faut dire que, comme Napoléon n’est pas un personnage qui m’a fasciné outre mesure, je suis bien incapable déjà de savoir si son cheval s’appelait vraiment Nickel. Le Normand en général est assez méfiant des personnages qui se veulent grand rassembleur de la République, et qui au passage en profite pour en remettre une couche sur toutes les libertés individuelles, qui nous sont si chères. Cela n’empêche pas qu’à Cherbourg nous avons une belle statue de Napoléon qui montre l’Angleterre, peut-être en signe de défi, ce qui était bien prétentieux. Mais pour montrer que ce n’est pas pour ça que nous vivons dans le culte du Grand Homme, je ne peux que citer l’anecdote d’un papy qui promenait régulièrement son petit fils au pied de la statue et qui lui disait “regardes, c’est Napoléon”, mais au bout de plusieurs de ces visites le gamin a tout de même fini par demander à son grand-père qui était le monsieur qui était assis sur le dos de Napoléon, dont il n’avait jamais entendu parler auparavant… C’est vrai quoi, Napoléon c’est quand même plus un nom de cheval, qu’un nom de monsieur.”

Bon appétit.

Campagne 2 France – en approche du “bon manger”

 

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