A bord de l’Utrillo …

Nous voici au beau milieu du Pacifique, taillant imperturbablement notre route vers Panama, à quelques 19 noeuds de moyenne au rythme régulier de la machine, dont le coeur bat à quelques 590 pulsations minutes.

Quand l’opportunité s’est présentée de pouvoir embarquer sur un cargo, voilà bien une expérience qu’il convenait de ne pas louper. Jusqu’alors, les cargos, nous ne les voyions que de loin, en surveillant leur vitesse et leur cap afin d’éviter tout risque de collision. Naviguer à bord d’une de ces “grosses bêtes” est une expérience maritime intéressante. La perception de l’Océan et le point de vue sont forcément bien différents de ce que nous avons toujours connu sur nos divers voiliers, même si un cargo reste tout de même d’abord et avant tout un bateau.

La première prise de contact, furtive, avec l’Utrillo, s’est faite dans l’après-midi précédant notre départ de Tauranga. Nous sommes brièvement monter à bord pour satisfaire aux formalités douanières. Juste le temps de rencontrer le Capitaine, bien jeune et bien sympathique, mais nous étions retournés bien vite à nos préparatifs pour charger Campagne de France, ce qui fait que nous n’avions prêté aucune attention à aucun détail.

La nuit avant l’appareillage fut toute entière consacrée au chargement, ou plutôt à attendre le chargement. Les horaires de manutention prévus ont inexorablement glissé, alors que malheureusement la marée, elle, n’attend pas. Ceci nous causa quelques sueurs froides, étant donné que nous avons alors dû effectuer la manutention avec 1 nœud de courant. A cause du retard, nous avions laissé largement passer l’heure de l’étal, pendant laquelle il était prévu que nous puissions tranquillement effectuer la manutention dans des bonnes conditions. C’est donc seulement une fois Campagne de France bien fixé en pontée que nous avons pu songer à nous installer nous-même à bord, à peine quelques courtes petites heures avant notre appareillage.

La première prise de contact avec un cargo, n’est pas forcement visuelle, mais plutôt olfactive. Un cargo, ça sent le cargo, comme un fauve sent le fauve. Ce n’est pas une odeur désagréable, mais spécifique, que nous sentons parfois en mer, lorsque sur notre petit voilier nous sommes sous le vent d’un cargo qui nous passe un peu trop près des moustaches. L’odeur de cargo est un mélange assez complexe d’huiles de tout grade, de fuel, de mazout, de graisse, de suies, de cuisines d’origines diverses et parfois exotiques, de ferraille, de rouille et de peintures (entre autres).

En tous cas c’est une odeur reconnaissable, dont la présence s’efface au bout de quelques heures, comme toutes les odeurs qui nous entourent et auxquelles nous nous habituons facilement. Du quai, on “monte” sur le cargo par l’échelle de pilote, le long du bordé. Avant même d’être à bord, on se rend donc déjà compte que nous allons naviguer sur un bateau dont le franc bord nous permettra une vue sur l’océan à laquelle nous ne sommes pas habitués.

Un marin Philippin nous accueille avec un large sourire en haut de l’échelle de coupée et nous nous engouffrons ensuite dans “l’immeuble” qui trône vers le quart arrière du pont. Sur les portes containers, presque tout l’espace des cales ou du pont est dédié à la cargaison et seul “le château”, qui est situé juste au-dessus de la salle des machines, représente la partie habitable.

Cet immeuble de plusieurs étages sera donc notre “maison” pendant tout le temps de la traversée. Le niveau inférieur est au niveau du pont et c’est le niveau A. Notre cabine est au niveau E, c’est-à-dire l’équivalent du quatrième étage, si l’on considère que le niveau A est le rez de chaussée, ou plutôt devrais-je dire le rez de pont. Au cinquième étage, au niveau  F se trouvent les cabines du Capitaine et du Chef Mécanicien (the Chief Ingenier) celui qui est responsable de toutes les machines), ainsi que le bureau des communications, d’où je vous envoie ce mail. Au-dessus, dernier étage, avec vue imprenable sur la mer, c’est “The Bridge”, c’est-à-dire la Passerelle. C’est de la que l’on “conduit” le bateau. La passerelle est à quelques trente mètres au-dessus du niveau de la mer.

Il faut un peu de temps pour s’y repérer dans ces divers couloirs, et il est important de savoir à quel niveau l’on est car, comme dans n’importe quel immeuble, tous les étages se ressemblent. En tous cas, nous découvrons une notion totalement nouvelle pour nous sur un bateau : l’espace. Nous savons déjà que nous allons pouvoir nous dégourdir les jambes et qu’en ignorant délibérement l’usage de l’ascenseur nous risquons de garder notre aptitude relative à la marche, ce qui n’est pas le cas lorsque nous traversons un océan sur nos petits voiliers de course.

Nous découvrons petit à petit l’équipage, composé uniquement de Roumains et de Philippins. Tout l’équipage est extrêmement aimable et serviable. Il y a une bonne ambiance à bord. La langue de travail est l’anglais international (celui qui est pratique et que tout le monde comprend, pas comme celui des “vrais” Anglais, que eux seuls comprennent!). C’est un plaisir que de retrouver des Philippins, car j’ai pas mal bourlingué dans certaines parties des Philippines, où j’ai eu donc largement le temps d’apprécier la gentillesse et l’efficacité de ce peuple maritime. C’est aussi un plaisir de rencontrer des Roumains, étant donné que le mat de Campagne de France a été fabriqué en Roumanie et que nous sommes fiers de leur dire que c’est une réalisation superbe, qui démontre un savoir-faire certain. La plupart des membres de l’équipage est embarquée pour une très longue période. L’absence des proches est lourde, mais cela ne contrarie pas le sérieux avec lequel les taches quotidiennes du bord sont accomplies. Il n’y a qu’une vingtaine de membres d’équipage, ce qui fait que les journées sont bien remplies pour chacun, entre la marche du bateau, la veille, l’entretien, la surveillance et la maintenance des machines et la tonne de paperasses que les officiers doivent se coltiner pour chaque port. Nous ne pouvons donc pas dire que nous sommes gênés par la promiscuité.  Nous sommes bien loin de la vie à bord des bâtiments du temps de la marine de guerre à voile, ou par exemple quelques 260 âmes s’entassaient sur une simple petite frégate de quelques 45 mètres, et presque un millier d’âmes sur un vaisseau 3 ponts.

Une vingtaine pour 200 mètres par 30, on ne se marche pas sur les pieds! Le métier de marin a forcément quelque peu changé au cours des siècles. Les mécaniciens ont remplacé les gabiers, les bouilleurs produisent l’eau douce pour les douches à volonté et les frigos permettent d’embarquer une nourriture qui n’a rien à envier à celle de la plupart des terriens.

Reste que l’océan est toujours aussi vaste, même si les vitesses ont réduit les temps de traversée. Le décalage horaire est progressif, comme l’évolution des températures. Nous croisons maintenant dans des eaux qui sont vraiment “bleues des Mers du Sud”, typiques des Latitudes subtropicales. Nous avons perdu nos compagnons Albatros et il faut croire que les dauphins préfèrent la compagnie de nos voiliers, qui glissent sur les flots, sans que des hélices n’en perturbent les flux, car nous en voyons peu par rapport à ce dont nous avons l’habitude.

La vie sur le cargo est une nouveauté pour nous. En tant que passagers nous découvrons le plaisir de la jouissance des moments contemplatifs, sans avoir à se préoccuper de la bonne marche du navire. C’est un peu la mer sans les contraintes, et pour un temps, ce n’est pas désagréable. Il est sur qu’au bout d’un certain moment le manque d’action nous pèserait, mais pour l’heure, après les mois intensifs que nous avons vécus pour construire le bateau et ensuite courir et gérer les escales, ce repos forcé a un petit air de vacances assez inhabituel, qu’il est fort bon de goûter. D’autant plus que nous savons que cela ne durera pas et que même avant de débarquer nous avons une “job list” que nous devons attaquer.

Les journées et les nuits passent très vite en mer. Le doux bercement du navire nous installe dans une certaine routine, qui n’est pourtant en aucun cas monotone, ne serait-ce que parce que la mer qui nous entoure change tout le temps de visage. En tous cas, depuis notre départ, nous nous félicitons de ne pas avoir à faire cette route à la voile, étant donné que pour l’instant nous n’avons jamais bénéficié d’un vent favorable. Même si le Captaine ronchonne un peu de ces vents contraires, qui ralentissent quelque peu sa moyenne, le VMG et le CMG du cargo (gain dans le lit du vent et sur la route)  restent tout de même largement meilleurs à ceux que nous pouvons escompter avec Campagne de France. C’est autant de temps de gagné, que nous pourrons consacrer à une meilleure préparation pour le programme qui nous attends. Nous sommes partis depuis une semaine et nous sommes déjà dans le sud de Pitcairin, l’Ile des révoltés du Bounty, qui marque presque la moitié de la traversée. Le temps défile presque trop vite, en tous cas pour nous.

A bientôt

Halvard & Miranda

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