La voile du temps
Porter la voile du temps, tel est le credo de tout navigateur, professionnel ou amateur, que les caprices et la diversité des conditions météo rencontrées sur un plan d’eau donné, obligent à adapter en permanence la bonne combinaison de voilure pour tirer le meilleur de son type de bateau.
La voile du temps, pour Campagne de France, et depuis son entrée dans un alizé virulent dès le passage au cap Finisterre, était ce spi medium, taillé pour tirer les 5,8 tonnes du voiliers aux allures portantes avec un maximum d’efficacité. Le retour tonitruant d’Halvard et Miranda aux avant postes de la course lui était, en plus du talent et de l’abnégation du duo Anglo-Normand, largement imputable. Car pour tenir tête à des voiliers plus véloces car plus récents, plus puissants et plus légers, Halvard et Miranda se sont aveuglément reposés sur cette voile “magique”, botte secrète du bateau, qui les avait si fidèlement servi durant toute leur campagne autour du monde en 2012. C’est sans prévenir que ce spi médium, sollicité dans un “range” de vent maximum, 30 nœuds et plus, s’est déchiré dans la nuit de lundi à mardi.
Campagne de France subit depuis l’inexorable débordement par sa droite et sa gauche de concurrents au mieux de leur forme. Aux longues heures de barre et petits instants de repos, Halvard et Miranda ont depuis rajouté le patient travail de couture, dans l’espoir de redonner vie à leur botte magique. Septième au pointage du matin, Campagne de France est aujourd’hui sous la menace de Groupe Picoty (Caso-Chappaelier) qui ne se fera pas prier pour les dépasser en glissant un noeud de mieux sous son vent.
Les regrets seraient légitimes au moment où une vraie compression de la flotte se fait sentir. Si Campagne de France navigue désormais à plus de 150 milles du leader, contre environ 110 au moment de l’incident, le nouveau troisième du classement général, l’espagnol Talès (Pella- Santubre), est revenu ce matin à 78 milles du meneur GDF-Suez (Rogues-Delahaye), alors que se profilent dès ce soir les sombres nuages et l’instabilité légendaire de la Zone de Convergence Intertropicale, le redoutable et redouté Pot au Noir. Les spis n’auront guère droit au chapitre en cet endroit, et Campagne de France pourra y lutter à armes égales.
Le mot d’Halvard…
“Bonjour à tous.
Sur CAMPAGNE DE FRANCE nous prenons notre mal en patience (enfin, plus ou moins).
En effet, depuis la perte de LA voile qu’il nous faudrait là, maintenant depuis hier et probablement encore pour quelques poignées d’heures, nous ne pouvons que constater, impuissants, tous les milles que nous offrons gracieusement à nos petits camarades, qui pourtant n’en avaient pas besoin tant que ça. Chaque flot de positions qui tombe est une punition. Un vieux relent de bulletins scolaires sur lesquels les heures de colle sont marquées bien en rouge, voir surlignées, et où la menace du redoublement se transforme à grands pas en certitude.
C’est bizarre de voir une voile s’ouvrir comme ça, sans prévenir, sans qu’elle eut claqué d’aucune façon. Dans un premier temps il y a l’urgence de la manœuvre pour essayer de sauver ce qui peut l’être encore. Affaler un spi n’est jamais une manœuvre aisée dans la brise avec une mer très agitée, mais affaler des morceaux de tissus, qui ne veulent tous en faire qu’à leur tête, et surtout qui n’ont qu’une envie c’est d’aller se baigner, tient du miracle lorsque l’on réussit à tout rentrer à l’intérieur du bateau et pas trop détrempé qui plus est (on pense toujours à la réparation qui sera quasi impossible sur une voile mouillée).
Une fois les lambeaux à l’intérieur, en vrac mais au moins sécurisés, vient alors la pensée suivante : “maintenant ça va beaucoup moins bien marcher”, façon l’infortuné Bourvil dans “Le Corniaud”, lorsque sa rutilante 2CV est victime d’un “léger” accrochage avec la puissante limousine de De Funès et se retrouve red mainchi. Effectivement ça marche beaucoup moins bien, malgré une autre voile qui est aussitôt renvoyée, mais moins adaptée à la situation.
Viens ensuite la mise en place de l’hopital de campagne pour les voiles victimes de dégâts collatéraux. Sur Campagne de France, comme chacun peut l’imaginer, il n’y a pas un grand plancher/table d’opération sur lequel on pourrait étaler la voile pour faire déjà un premier diagnostic en un seul coup d’oeil. C’est donc petit à petit, en brassant d’un côté à l’autre des mètres et des mètres de tissu à l’intérieur de notre minuscule carré, que nous découvrons au fur et à mesure l’ampleur des blessures et que nous pouvons savoir si la victime a une chance de s’en sortir ou pas. Déjà il faut récupérer tous les morceaux et essayer de voir lequel vient à côté de quel autre et ensuite, il faut réfléchir à comment rabouter tout cela. En tous cas c’est de la chirurgie lourde et d’urgence ; coutures et sparadra sont appliqués sans trop se préoccuper des lésions esthétiques futures. Nous avons opéré toute la journée et une partie de la nuit, mais à l’heure qu’il est nous restons très reservés
sur le diagnostic vital. Nous ne savons pas si notre patient a une chance de s’en sortir et si ou,i quelles seront les séquelles et s’il pourra garder toutes ses facultés.
En plus il est probable que si nous arrivons à réparer notre spi, il soit prêt au moment où nous n’en n’avons plus besoin, mais c’est toujours comme ça.
En attendant, on perd tout ce qu’on veut (ou plutôt ce qu’on ne veut pas), mais c’est comme ça et c’est pas autrement.
Donc, désolé pour le retard. Si cette petite bafouille ne peut servir de mot d’excuse, elle est au moins explicative.
A bientôt”
CAMPAGNE DE FRANCE – voilerie Alizés